Monsieur le commissaire enquêteur,
L’association des Amis du Casset, comptant plus d’ une centaine de membres, est opposée au projet de construction et d’exploitation d’une microcentrale hydroélectrique sur le Petit Tabuc et à la déclaration d’utilité publique afférente.
Si notre association est tout à fait favorable aux énergies renouvelables, notre forte opposition tient à la nature particulière de ce projet dont nous avons passé en revue détaillée les éléments très souvent contradictoires : vous trouverez en pièce jointe nos observations numérotées de 1 à 87 sur lesquelles s’appuie la présente synthèse . Ce projet nous semble extrêmement néfaste au
niveau patrimonial, touristique et écologique, sans rien apporter au point de vue énergétique; il ne s’explique que par l’intérêt financier anormalement élevé qu’il procure à son promoteur.
Ce projet est catastrophique au niveau patrimonial et touristique
Le site convoité est un site d’exception pour la vallée, le département et même la région.
Les eaux claires, la ripisylve centenaire, la forêt, les magnifiques paysages d’arrière-plan font du vallon du Petit Tabuc le site le plus attractif de la vallée. Tout aménagement, même partiel du cours du torrent aura des effets néfastes et irréversibles sur tout l’écosystème et ce jusqu’à la Guisane . Le petit Tabuc , de loin le plus vaste torrent de la vallée et aussi l’un des moins pentus, se présente sous la forme d’un lit unique peu incisé et juste calibré pour contenir les variations journalières de l’écoulement glaciaire durant la période estivale. C’est un torrent bucolique de haute montagne chargé de farine glaciaire, seul de ce type sur toute la vallée . Peu anthropisé, il fournit le cadre de la plus belle promenade de la Guisane et la plus fréquentée (deuxième entrée du Parc national des Ecrins du département par l’affluence) : 500 personnes par jour en moyenne viennent l’été s’y promener, en famille avec souvent trois générations représentées; la faible pente et le grondement du
torrent ainsi que l’humidité et la fraîcheur dispensées sur son cours sont une invitation à aller plus haut et découvrir la haute montagne et les glaciers. Le site est d’ailleurs considéré dans le tout récent SCoT du Briançonnais comme l’un des deux sites remarquables de toute la vallée avec le col du Lautaret. Pour en témoigner voici deux documents: l’un invitant à y célébrer la « fête de la montagne » avec l’office du tourisme et l’autre attestant d’un attrait si fort pour la région que les journaux marseillais en font même état (voir
article de La Provence joint). La ripisylve centenaire abrite plusieurs espèces remarquables dont certaines protégées au plan national, la baisse du débit les mettra en grand danger. Les travaux perturberont considérablement ces espèces et gâcheront à l’avenir les usages des milieux est nécessaire et cette zone emblématique mérite d’être sauvegardée.
La présentation du projet est fallacieuse et le dossier incohérent ou évasif sur bien des points.
Un certain nombre d’affirmations non étayées sont inexactes et trompeuses.
Contrairement à ce qui est écrit à plusieurs reprises, le torrent a bien fait l’objet d’une demande de retrait , voir la lettre du préfet coordonnateur de bassin de décembre 2013 jointe « concernant spécifiquement le Petit Tabuc et le Grand Tabuc, ces deux torrents ont été retirés pour tenir compte de projets hydroélectriques en cours de développement jugés stratégiques pour le département
des département des Hautes-Alpes, malgré un potentiel inférieur au seuil de 4,5 MW». Il est clair qu’une puissance de 0,5 MW, aucunement stratégique, n’aurait pas réussi à emporter cette décision de retrait qui n’a donc plus d’objet.
Le tourisme d’été est loin d’être « secondaire » dans la vallée, les saisons d’été sont importantes et la commune du Monêtier a toujours été une destination de montagne d’été autant que de sports d’hiver; le changement climatique ayant pour effet d’accentuer la fréquentation estivale, cette tendance a toutes les chances de se perpétuer. La clientèle familiale randonne beaucoup et le vallon
du Petit Tabuc est une destination très prisée. On commence aussi à y rencontrer beaucoup de VTT. Ne sacrifierait-on pas l’avenir touristique de notre territoire pour un intérêt financier dérisoire?
Les nuisances ne se borneraient pas à la période de chantier contrairement à ce qui est affirmé. De fortes contradictions émaillent le dossier d’étude d’impact, concernant notamment le passage des engins lourds pour les travaux : tantôt Le Casset est épargné du fait de l’utilisation du pont en amont du hameau, et un peu plus loin dans le texte, c’est bien le pont à l’intérieur du
hameau qui voit passer les engins ! Quelle est l’information pertinente et à quoi s’engage réellement le pétitionnaire? Après les travaux, la présence de deux bâtiments, prise d’eau et usine, en pleine nature banalisera le site vierge exceptionnel et la tranchée creusée pour la conduite aura bien du mal à retrouver son état initial vue la forte pente à certains endroits du versant
concerné. Ensuite, là où la conduite traverse la forêt, on peut s’interroger sur les capacités des arbres à prendre racine sur une conduite en acier. Mais la lacune la plus grave du dossier est d’occulter les effets de la baisse considérable du débit du torrent dans le tronçon court-circuité. C’est bien là, sur ce tronçon et sur ses ripisylves, que les dégâts seront pérennes et majeurs. L’étude d’impact se limite curieusement à la zone de travaux, son périmètre est notablement insuffisant, son contenu n’est proportionné à la
sensibilité environnementale de la zone susceptible d’être affectée par le projet, contrairement à l’article R 122-5 du code de l’environnement. Cette zone se situe en effet au croisement de trames verte et bleue; elle inclut un réservoir de biodiversité et l’aménagement concerne un cours d’eau à préserver.
L’étude oublie ce cours d’eau et les effets de la baisse du débit sur la
continuité écologique. Faune et flore dépendant étroitement du débit du cours d’eau, toute une population de mammifères, d’insectes ainsi que la flore des ripisylves seront impactées, citons par exemple le Salix laggeri (voir carte en pièce jointe) qui figure sur les listes rouges de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UIICN) pour le monde, l’Europe et la France. Les poissons aussi bien sûr seront touchés même s’il est affirmé même s’il est
affirmé un peu trop rapidement que le torrent est apiscicole.
Enfin, la forte érosion subie par le lit du Petit Tabuc à la suite du gros
orage de ce début juillet, qui a emporté une partie des rives (voir photos jointes), font aussi craindre un changement de régime et d’éventuels dommages sur la prise d’eau (risques de contournements) qui devraient être envisagés.
Le SDAGE et la Directive cadre européenne sur l’eau ne sont pas respectés. Ce projet n’est pas conforme au SDAGE, la séquence «Eviter Réduire Compenser» dans sa partie « éviter » n’a été abordée que par allusions (disposition 2-01 de l’orientation fondamentale n° 2). Ce projet de centrale ne répond à aucun besoin énergétique du territoire, son intérêt n’est qu’un intérêt financier pour EDSB. Le Grand Briançonnais est déjà fortement exportateur d’énergie
hydroélectrique, ce qui fournit d’amples raisons d’« éviter». Le pétitionnaire se vante par exemple de contribuer par ce projet, en hiver à l’alimentation des stations de sports d’hiver de la zone. Avec une production totale d’environ 0,245 GWh sur les quatre mois d’hiver, on peut se demander quelle contribution aurait cette aurait cette microcentrale à la couverture des besoins énergétiques du domaine skiable de la seule station de la seule station de
Serre Chevalier estimés à 14,55 GWh, dont 30 % seront assurés d’ici 2021 en énergie renouvelables produites sur le domaine skiable. L’apport hivernal de la microcentrale est si insignifiant qu’il peut facilement être évité.
Le risque de dégradation de l’état de la masse d’eau liée aux modifications de débit dans le tronçon court-circuité est oublié (Orientation Fondamentale 2 du SDAGE), or la continuité écologique et le bon état des eaux sont un enjeu majeur de la DCE. Dans le SDAGE Rhône Méditerranée, le torrent du Petit Tabuc doit
atteindre l’objectif de très bon état écologique, or le débit résiduel de 181 l/s proposé arbitrairement inférieur de 50 l/s au QMNA5 (qui représente le plus bas étiage atteint 20 ans par siècle), mettra ce torrent dans un état qu’il n’a jamais connu et les conséquences sur la biodiversité n’en sont même pas évaluées. Le risque de gel et de prise en glace du débit dans le tronçon court-circuité est très important, il n’est pas non plus pris en considération.
Il est inacceptable que les motifs et les conséquences du choix du chiffre de 181 l/s ne soient pas présentés à l’appui de la demande.
Il n’est pas admissible que la continuité écologique ne soit pas respectée pour un torrent figurant dans le Schéma régional de cohérence écologique comme à préserver dans la trame bleue.
Ce projet n’a aucune utilité publique.
Il a un intérêt énergétique dérisoire en dépit de la grande variété des
chiffres discordants fournis par le pétitionnaire , tant en matière de
consommation électrique des ménages qu’en matière de contribution à la diminution des émissions de GES , il ne présente que très peu d’intérêt pour la transition énergétique.
Ce projet n’apporterait que 0,5 MW sur les 250 MW estimés nécessaires à la «bonne tenue de l’alimentation locale indispensable pour les périodes de haute fréquentation de la vallée », soit 0,2 %, et seulement 0,1 MW l’hiver (0,04 % ! et encore en moyenne et sans aucune garantie ), période où la consommation est la plus élevée du fait du chauffage dans la vallée, car car la saisonnalité de la production est opposée à celle de la demande. Il n’apporterait quasiment rien en matière de baisse des émissions de GES, car toute la production de la microcentrale étant revendue à EDF, elle ne se substituerait qu’en infime partie (dans le mix énergétique d’EDF) à une énergie fossile; n’oublions pas que la production hydroélectrique annuelle du département des Hautes-Alpes
dépasse déjà sa consommation électrique. C’est d’ailleurs pourquoi la déclinaison des objectifs régionaux du Schéma Régional Climat Air Energie dans le schéma de cohérence territoriale (SCoT) du
Briançonnais ne donne pas d’objectifs de création de nouveaux aménagements mais uniquement d’amélioration de la production de l’existant. L’objectif d’une augmentation de puissance brute comprise entre 3,5 et 5,7 MW entre l’existant. L’objectif d’une augmentation de puissance brute comprise entre 3,5 et 5,7 MW
entre 2013 et 2020 étant d’ores et déjà atteint et dépassé (voir lettre du préfet coordonnateur de bassin du 3 octobre 2018).
D’ailleurs EDSB est tout à fait consciente de l’inutilité énergétique d’un si petit projet, puisqu’elle s’est opposée à l’autorisation d’aménagement de la centrale de Pont Carle sur la Guisane au cours de l’enquête publique de février–mars 2017 au motif de la « faible production potentielle d’énergie renouvelable de l’aménagement concerné et des risques…». Si la production prévue était à peine plus faible que celle envisagée pour le projet du Petit Tabuc, le projet avait l’avantage d’améliorer la situation existante et la continuité biologique et sédimentaire en aménageant utilement un seuil
préexistant, type même de projet acceptable, ce contrairement au projet Petit Tabuc installé en site vierge et dont toutes les retombées sur le milieu naturel seront négatives.
Alors, s’il n’a pas d’intérêt côté énergétique, il faut bien en arriver au seul motif du projet.
Il ne s’explique que par le régime très favorable des très petites installations : l’obligation d’achat par EDF de toute la production des centrales de moins de 0,5 MW au prix garanti de 120 € le MWh, prix 50 % plus élevé que le tarif moyen demandé par les lauréats des appels d’offres les plus récents pour les centrales hydroélectriques de petite puissance.
Cet effet d’aubaine est bien connu de la commission de régulation de l’énergie (CRE) qui s’en est émue en fixant un seuil maximum de rentabilité à 8 %, tenant compte de la garantie dont bénéficient ces installations d’écouler l’intégralité de leur production à un tarif déterminé. Les calculs embarrassés d’EDSB qui confond allégrement le délai de récupération du capital investi (exprimé en années) et le TRI (taux de rendement ou de rentabilité interne exprimé en pourcentage), laissent clairement supposer que ce projet dépasse une rémunération normale des capitaux investis, ce que ne manquera pas d’observer la CRE. Il est clair d’autre part qu’il n’y aura pas d’emploi créé, ce qui avait d’ailleurs été publiquement affirmé lors de la réunion de septembre 2016 au Monêtier: « seulement un emploi à temps partiel conforté par l’ensemble des
projets en cours», estimation en conformité avec les chiffres connus par ailleurs, à moins que ce « temps partiel » nouvellement annoncé dans le dossier ne se réduise à une poignée d’heures par mois.
La rentabilité de l’opération n’est permise que par permise que par
l’obligation de rachat par EDF de toute la production au prix très élevé de 120 € le MWh: c’est donc une énergie hors de prix dont on pourrait au minimum exiger qu’elle respecte l’environnement.
D’autre part les retombées financières sur la commune sont bien allusives. Quel marché de dupe que l’octroi de 8 à 10 % du chiffre d’affaires (moins de 30000€) en contrepartie de si forts dommages au site, à comparer aux 7 millions d’euros du seul budget principal de la commune. Nous ne comprenons pas le soutien de la commune à ce projet, pas plus que le silence de madame le maire de Monêtier, présidente de l’office du tourisme de Serre Chevalier face à une
affirmation du pétitionnaire selon laquelle le tourisme estival serait
«secondaire».
L’utilité publique est en conséquence de ne pas autoriser cet équipement dont l’objectif est avant tout d’assurer une économie de rente à EDSB.
Nous sommes affligés de toutes les contradictions, erreurs, incohérences et propos fallacieux que contient ce dossier. Si l’autorisation était donnée et l’utilité publique déclarée, l’association se réserve d’utiliser les voies de recours à sa disposition.
Nous vous prions d’accepter, Monsieur le commissaire enquêteur, nos cordiales salutations.
Pour l’association, la présidente
Hélène Denis