Historique 1978-1982 La microcentrale hydroélectrique du petit Tabuc : le serpent du Loch Ness ??

Au moment où ressurgit le projet d’une microcentrale hydroélectrique au Petit Tabuc (cf le site Internet des Amis du Casset), il paraît intéressant de rappeler la bataille que notre association a menée contre un projet sensiblement identique il y a plus de 30 ans (de 1978 à 1982)!

Dans les années 70 de nombreux projets de création de microcentrales hydroélectriques fleurissaient et à la différence du projet actuel (proposé par une entreprise spécialisée, EDSB), ils étaient souvent proposés par des particuliers ou des prête-noms.

La transition énergétique était déjà fort à la mode et si tout le monde, comme maintenant, se préoccupait à juste titre de vouloir diminuer la part du nucléaire, le souci des investisseurs dans les microcentrales était surtout d’y voir un avantage financier sans réfléchir trop avant sur un possible avantage énergétique (très faible dans de nombreux cas) et sans se préoccuper des éventuels dommages biologiques et esthétiques provoqués par la dérivation des cours d’eau. Il existe en effet un décret (daté du 20 Mai 1955) qui fait obligation à l’EDF d’acheter le courant produit par les microcentrales et de passer avec les propriétaires un contrat d’achat pour une durée au moins égale à celle de l’amortissement des installations. Il faut d’ailleurs savoir qu’à maintes reprises les responsables d’EDF, au plus haut niveau, ont estimé sans intérêt économique l’électricité fournie par les microcentrales par rapport à celle fournie par les grandes centrales et ce n’est pas la taxe additionnelle payée par le consommateur qui peut combler ce déficit !

Dans notre cas le pétitionnaire était un certain M. Guibert (avec un n° Cedex à Paris) qui, dans une lettre adressée en février 1977 au ministre de l’Industrie et de la Recherche, sollicitait « l’octroi de la concession de dérivation des eaux du torrent du PETIT TABUC pour créer une centrale hydroélectrique appelée CENTRALE HYDRO-ELECTRIQUE DU CASSET».

Les premiers éléments concernant cette centrale ont été communiqués le 14 Avril 1978, lors d’une réunion d’information, aux habitants du Casset :

Il s’agissait de dériver le Tabuc à la cote 1687 m et d’amener l’eau par une conduite forcée de 900 à 1.200 m jusqu’au moulin (cote 1496m).

Comme l’a fidèlement rapporté l’une de nos adhérentes qui assistait à la réunion,  les travaux nécessaires pour la mise en place de cette centrale prévoyaient « une trancheuse de 4m de large sur 12 m de long, montée sur chenilles, qui passerait par le chemin du Gas jusqu’au moulin après lui avoir fait traverser la rivière à gué au- dessus du camping. La tranchée serait de 1,5 à 2 m de large pour la pose de la conduite forcée et des câbles de commandes d’où  une traversée de propriétés, une détérioration, des indemnités ou une remise en état à discuter avec les propriétaires suivant leur désir. Il y aurait création d’un bâtiment à la prise d’eau pour abriter  les servomoteurs, d’un aspect bergerie, bâtiment de 6m x2,5m x2,5m. Les travaux devaient être effectués pour le gros œuvre par une entreprise spécialisée: Pascal de Grenoble et la bergerie par l’entreprise Guglielmetti de Monêtier et on créera pour la durée des travaux une centrale à béton qui utilisera le gravier de la Guisane.. »

M. Guibert a également indiqué que « la commune a fait une prise de position de principe :

– utilisation du moulin pour la durée de la concession

– remise en état du moulin et location du local à la commune

– protection des berges du torrent

– fourniture gratuite d’électricité à la commune par réseau EDF : 46 Kw pour éclairage des rues du Casset et d’un local communal

– paiement d’une redevance à la commune pour la location de la rive et redevance pour droit d’eau.

L’enquête publique était prévue pour juin, juillet, août ou septembre 1978 et le début des travaux pour avril, mai 1979.

Tout ceci nous a évidemment fortement inquiétés et nous avons pu obtenir auprès de la DDA le dossier complet de la demande de concession (que nous avons toujours !) et qui comporte, outre le mémoire descriptif, un extrait de carte au 1/20.000ème, un plan sommaire des lieux et des ouvrages, le profil en long des cours d’eau, le plan des terrains submergés, les accords intervenus, (propositions pour indemnisation des droits non exercés, proposition de répartition de la valeur locative) et enfin un projet de cahier des charges.

Nous avons bénéficié pour l’étude de ce dossier de l’expertise d’un cousin de notre président qui habitait St Etienne mais venait chaque été camper au Casset sur les bords de la Guisane et qui était en contact avec Mme Lebreton, présidente de la F.R.A.P.N.A (Fédération Rhône Alpes de Protection de la nature) qui nous a fourni un grand nombre de documents.

Nous avons retrouvé dans le dossier les données présentées par M. Guibert à la réunion d’information : cote de prise d’eau 1.680m, cote de restitution 1.500 m, d’où une chute brute de 180 m (et nette de 160 m du fait des pertes de charge dans la conduite). Le débit moyen du torrent à la prise était calculé à 750 l/s avec un débit réservé de 50 l/s

Il était en outre précisé que la puissance maximale brute de la chute concédée « était de 1324 kW, soit une puissance maximale fournie de 970kW et la puissance brute normale de la chute de 918 kW soit une puissance disponible de 711 kW » (ce qui représentait une très faible production correspondant, selon M. Guibert, à 150 tonnes de fuel).

Avec ces données en main, nous avons écrit le 20 Juin 1978 une longue lettre au Ministre de l’Industrie et de la Recherche (Direction du Gaz, de l’Electricité et du Charbon) pour lui manifester notre opposition à ce projet qui, réalisé tel qu’il était présenté par le promoteur, apportait un grave préjudice à l’environnement de notre village : assèchement presque en totalité du PETIT TABUC (débit réduit à 50 l/seconde) avec le risque de ne plus alimenter les prises d’eau pour l’arrosage des champs cultivés aux alentours, altération du site par la construction des ouvrages projetés, et une conduite forcée « enterrée » et non sous terre sauf cas particuliers d’impossibilité !! Nous rappelions que le Casset avec une église monument historique inscrit, devait être particulièrement protégé (cf circulaire de M. Michel d’Ornano du 5 Juin 1978). Enfin nous nous étonnions d’une opération financière privée.

Le cabinet du ministre nous a répondu fort courtoisement le 23 Août par une aussi longue lettre, nous précisant au départ qu’au niveau des conférences préliminaires, la procédure concernant la demande de concession présentée par M. Guibert n’avait pas encore débuté, le pétitionnaire devant compléter son dossier par des documents qui n’avaient pas encore été fournis. Il a repris les différents points que nous avions soulevés en précisant qu’une étude hydraulique complète (avec le nombre d’années de garantie quant au chiffre avancé au sujet du débit moyen à la prise d’eau) avait été demandée à M. Guibert et que d’ores et déjà le débit de 50l/seconde avait été jugé insuffisant par le Ministre de l’Environnement et du Cadre de Vie. En ce qui concernait l’aspect environnemental, le dossier complet (demande de concession et étude d’impact) devra être adressé à la commission départementale des Sites, Perspectives et Paysages qui sera appelée à se prononcer sur tous les aspects du projet avant de le soumettre à l’enquête publique.

Quant au caractère « privé » du projet, il répondait aux conclusions de la Commission d’Etude de la Production d’Electricité d’origine hydraulique et Marémotrice appelée « Commission Pintat » qui a indiqué que les producteurs autonomes devraient pouvoir continuer à un rythme soutenu l’exploitation des petites chutes.

Et en conclusion le ministre indiquait que le dossier dûment complété par l’étude d’impact serait soumis à des consultations interservices et interministérielles avant d’être mis à l’enquête où l’Association pourrait faire valoir ses observations !

Nous avons bien évidemment remercié le ministre de sa lettre mais en lui précisant que sa réponse nous paraissait justifier pleinement notre opposition au projet et que nous ne doutions pas que les renseignements complémentaires demandés ainsi que les conclusions du dossier d’impact ne feraient que confirmer « l’inutilité totale et le caractère néfaste de cette centrale »

Mais le temps passait et nous restions sans nouvelles de la centrale ! Nous avons alors réécrit au Ministère de l’Industrie le 14 Mars 1979 en lui demandant de nous préciser si la demande de concession avait été classée par défaut de la fourniture de l’étude d’impact. Sans réponse de leur part nous leur avons de nouveau écrit le 25 Septembre et la même personne qui nous avait écrit courtoisement l’année précédente nous a informés le 14 Novembre que le pétitionnaire n’avait pas fourni cette étude et qu’il donnait « toutes instructions au Directeur Interdépartemental de l’industrie à Marseille pour qu’il rappelle à Monsieur Guibert que eu égard au délai écoulé, faute de recevoir cette étude d’ici un mois, il classerait sans suite sa demande de concession ».

N’ayant toujours pas de nouvelles en mars 1980 nous commencions à être rassurés mais voilà que nous recevons une nouvelle lettre le 3 Avril 1980, signée cette fois ci de l’adjoint du directeur du Gaz, de l’Electricité et du Charbon au Ministère de l’Industrie, faisant référence à notre lettre de l’année passée et nous précisant que « en raison du délai supplémentaire qui lui a été accordé, Monsieur Guibert lui a adressé cette étude d’impact qu’il a transmis par lettre du 26 Février 1980 aux différents services et ministères concernés….  Dans le cas où, du résultat de ces consultations serait décidée la mise à l’enquête publique du dossier, celle-ci serait soumise à la Préfecture et à la mairie des communes intéressées »

Nous avons évidemment été consternés par cette dernière lettre qui remettait tout en question et dans un acte un peu désespéré, l’une d’entre nous a directement téléphoné un vendredi en fin de matinée au Ministère de l’Environnement. Et là nous avons eu beaucoup de chance car l’interlocuteur que nous avons eu au bout du fil était justement le responsable du dossier du Casset qui nous a dit l’avoir étudié le matin même avec son service et l’avoir trouvé tout à fait acceptable !! Nous nous sommes évidemment récrié en lui précisant toutes les nuisances apportées à l’environnement par la création de cette centrale : destruction d’une partie de la forêt jouxtant le Petit Tabuc, création d’un chemin de servitude le long de la conduite qui aura emprise sur une bande de terrain de 5 m de large, chemin qui fait partie du GR 54 ( voie d’accès au Parc National des Ecrins) et surtout discordance entre l’emplacement du bâtiment usine proposé dans le moulin aux habitants du Casset (et probablement repris dans l’étude d’impact) mais indiqué dans le mémoire descriptif de la demande de concession comme un bâtiment construit en bordure du torrent en béton armé « avec une esthétique en harmonie avec les constructions locales » Ebranlé par nos arguments, notre interlocuteur nous a alors dit qu’il laissait pour l’instant le dossier en suspens et attendait confirmation par écrit de nos observations !

Nous avons alors passé tout le WE à préciser dans une lettre (manuscrite ! pas d’ordinateur sur place !) les différents points soulevés avec photocopies des extraits des documents à l’appui, et l’avons envoyée à notre interlocuteur au ministère avec la copie de la lettre envoyée au ministre de l’Industrie en 1978 précisant les raisons de notre opposition au projet. Nous avons reçu, quelques jours après, un court message de sa part (également manuscrit !!) nous remerciant vivement des documents fournis et de l’exposé précis des contradictions relevées entre l’étude d’impact et le dossier de demande de concession « qui lui avaient échappées  et qui méritaient une demande d’explications auprès du pétitionnaire » !

 C’était une première victoire mais rien n’était encore acquis et il fallait continuer !

Le 17 Juillet 1980, il y a eu une réunion publique du conseil municipal de Mônetier les Bains (à laquelle nous avons assisté) où a été examinée la lettre envoyée au maire, sur sa demande, par le pétitionnaire dont il n’avait plus de nouvelles depuis plus de 2 ans !

M. Guibert précisait qu’il avait dû effectuer, sur la demande du ministère de l’Industrie, une étude du débit du torrent sur 3 ans et apporter certaines modifications dans son dossier, d’où son retard ; qu’il avait déposé l’étude d’impact le 29 Décembre 1979 et qu’il travaillait actuellement à harmoniser sa demande de concession et l’étude d’impact. Quant aux propositions faites à la commune, contenues dans le dossier initial, elles étaient inchangées. Les conseillers ont alors demandé d’effectuer une étude de rentabilité (coût 15.000 f (de l’époque !) auprès de la SOGREAH avant de poursuivre les négociations avec M. Guibert. A un conseiller qui timidement demandait si les sites autorisaient cette centrale, il lui a été catégoriquement répondu : bien entendu, la conduite est enterrée tout le long du parcours !

A la suite de cette réunion, nous avons écrit au maire pour lui signaler une nouvelle fois, les dommages causés à l’environnement par la création de cette centrale mais nous n’avons pas su si l’étude de rentabilité avait été commandée. Nous ne le savons toujours pas!

En Septembre, nous avons écrit à la Direction Départementale de l’Industrie (région PACA) à Marseille pour demander une copie de l’étude d’impact qui lui avait été remise mais il nous a été répondu que la loi avait changé entre temps !! Le seuil des entreprises justiciables du régime de la concession était passé de 500 à 4.500 kW et l’autorisation à venir dépendait alors du Préfet des Hautes Alpes. Il lui avait alors renvoyé les dossiers concernant cette demande, (notamment ceux de l’étude d’impact) et il ne pouvait plus nous la communiquer.

Nous avons donc effectué la même demande au Préfet des Hautes Alpes mais nous n’avons reçu une réponse qu’en Mars 1981. Le préfet nous proposait de consulter le document à la Direction Départementale de l’Agriculture (DDA) après avoir pris rendez- vous avec M.Gastous (service hydraulique et forestier). Je ne sais plus si nous avons pu consulter ce document mais quoiqu’il en soit, après plusieurs appels téléphoniques et lettres demandant à la DDA « de nous tenir informés de l’avancement du dossier relatif à la chute du Petit Tabuc au Casset », nous avons enfin reçu en Juin 1982 une lettre de cet organisme.

La lettre précisait que « ce dossier de demande de concession n’avait pu être soumis à l’enquête publique réglementaire du fait de l’absence d’accord du Ministère de l’Environnement et du Cadre de vie » En outre : « Du fait de la promulgation de la loi du 15 Juillet 1980 relative aux économies d’énergie, le pétitionnaire aurait du présenter une demande d’autorisation à M.le Préfet des Hautes Alpes puisque les chutes hydroélectriques d’une puissance inférieure à 4.500kW sont maintenant soumises au régime de l’autorisation »

Et la lettre concluait : « Aucun dossier n’ayant à ce jour été présenté, cette affaire est pour l’instant en sommeil. Si le pétitionnaire adressait dans l’avenir une demande d’autorisation, je ne manquerais pas de vous en informer »

Veuillez agréer… etc
L’affaire s’est réveillée et nous n’avons pas été prévenus ! Il n’y a plus qu’à recommencer à se battre pour préserver le Petit Tabuc !!!